Les Syriaques et la philosophie
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Depuis
les Sumériens et les Accadiens, de nombreux peuples écrivirent la
longue histoire des pays
situés entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate. Ces vallées
de limon et d’argile ne pouvaient manquer leur destinée.
La langue syriaque Les
Syriaques (en arabe : suryan) formaient
en effet un peuple, avec son histoire, sa religion chrétienne, sa
culture, sa langue, le parler araméen Au Veme
siècle, ils se divisèrent en deux branches. Les
Syriaques orientaux, dits « nestoriens », s’étaient établis
surtout en Mésopotamie et en Iran. Les
Syriaques occidentaux comprenaient les « Jacobites », qui
résidaient en Syrie, en Haute Mésopotamie, et les Maronites du Liban.
La
langue syriaque était un dialecte de l’araméen. Langue sémitique,
l’araméen fut diffusé dans le Proche-Orient au premier millénaire
avant notre ère. Quand les Perses Achéménides prirent Babylone en
539, ils l’imposèrent comme langue officielle de leur empire. A l’époque
hellénistique, qui commença à la mort d’Alexandre en 323, le grec
supplanta l’araméen, mais celui-ci se diversifia en dialectes, qui
témoignaient de l’opposition à la langue des colons et de la persistance
de la culture indigène. Le syriaque se développa autour d’Édesse,
capitale d’une région, l’Osrhoène.
Au
début de l’ère chrétienne apparurent, dans cette région d’Édesse,
les premiers écrits en syriaque. Il s’agissait d’inscriptions rupestres
ou gravées sur des stèles. Vers la fin du
deuxième siècle, la langue et la culture syriaques commencèrent
à rayonner aussi à Nisibe1,
à Arbèles, à Séleucie-Ctésiphon. L’écriture
syriaque utilisait un ancien alphabet, consonantique, dérivé du phénicien. Après le cinquième siècle, elle se modifia, s’arrondit, et
fut dite “estranghelo”.
Elle favorisa l’éclosion d’une littérature d’expression chrétienne. Les
Syriaques vécurent au cœur de l’Orient. Ils habitèrent dans des villes
importantes, Antioche,
Édesse, Amid, Sarug,
Samosate. Les
philosophes syriaques
Humbles
et altiers, ces Syriaques appartenaient à « l’intelligentsia »,
composée surtout de moines,
prêtres et prélats, tels Proba, Sergius
de Rash’aina, Georges, l’évêque des Arabes,
Timothée Ier, Bar Hébreus, Abdisho
de Nisibe. Les secrétaires, les médecins
laïcs les rejoignirent bientôt. Les noms de Honayn
Ibn Ishaq, Ishaq
Ibn Honayn, Hobaysh,
Mattâ Ibn Yunis,
Yahya Ibn Adi,
Ibn Zura, Ibn Suwar,
pour ne citer que ceux-là, brillent encore, telles les pierres précieuses
du jardin d’Aladin, le héros des Mille et Une Nuits.
Hunayn ibn Ishaq al-'Ibadi, 809?-873 (connu en Europe sous le nom de Joannitius). Isagoge Johannitii in Tegni Galeni. Oxford, 13th century.
Les Syriaques de la Mésopotamie
et de la Syrie tentèrent de résoudre les grands problèmes de la philosophie
et de la religion. Pour cela, ils regardèrent vers la Grèce, qui avait
développé la science, la philosophie, inventé une méthode de raisonnement,
créé une haute civilisation. Les
Syriaques voulaient approfondir l’héritage de l’Antiquité grecque.
Très tôt, ils se procurèrent, par l’intermédiaire d’écoles, comme
celles d’Antioche, de Nisibe et d’Édesse,
des œuvres philosophiques et scientifiques grecques. Ils commencèrent
à enseigner des éléments de la logique aristotélicienne qui servaient
à l’exégèse des textes religieux. Les élèves pouvaient venir dans
ces écoles et guérir de la pire des maladies, celle de l’ignorance.
Ils y développaient leur intellect, le don le plus précieux fait à
l’homme, avec la liberté. Ils entrevoyaient le visage étincelant de
la Connaissance, sentaient son souffle caressant et fertile. Ce savoir
se trouvait au centre de la vraie vie qu’ils recherchaient.
Beaucoup
de livres philosophiques grecs furent transmis aux Arabes, après la
Conquête, par l’intermédiaire de lettrés chrétiens syriaques, qui
jouaient le rôle de traducteurs, commentateurs, abréviateurs, lexicographes
et oeuvraient dans l’entourage des califes ‘abbassides de Bagdad.
Le plus célèbre d’entre eux fut sans doute Honayn
Ibn Ishaq (808-873.)
Les Syriaques achevèrent de traduire l’Organon,
la Physique et l’Éthique d’Aristote.
Tableaux synoptiques en syriaque se rapportant à l'Isagogè
de Porphyre et à la Logique d'Aristote. Probablement seconde moitié
du VIIe siècle. Copié en 1637 par Abraham Ecchellensis, d'après un
manuscrit de la bibliothèque du Vatican. Manuscrit sur papier (66
feuillets, 16 x 21,5 cm).
Vers
1045, le « Pays entre les deux fleuves » fut dominé par
les Turcs Seldjoukides. Les érudits syriaques poursuivirent leurs
études philosophiques, commentèrent Aristote, dialoguèrent avec les
musulmans, composèrent des encyclopédies.
Au
XIIIeme siècle,
les Mongols arrivèrent en Mésopotamie. Plusieurs tribus avaient été
converties au christianisme nestorien par les missionnaires. Nonobstant
les prises de villes et les violences, des savants syriaques rayonnèrent
à cette époque troublée.
Les
traductions
Ces
savants furent riches d’idées, subtils, curieux aussi des cultures
babylonienne, persane, indienne, arabe, et doués d’une belle force
d’assimilation. Ils s’intéressèrent à l’astronomie, à la physique,
à la métaphysique, à la rhétorique. Ils lièrent la médecine à
la philosophie. L’une avait pour sujet le corps de l’homme,
l’autre l’embellissement de son esprit et de son âme. La philosophie
étudiait l’essence des choses. La logique servait à expliquer les
notions théologiques, elle restait l’instrument des sciences.
Empruntée
d’abord par Hibas, la longue route de
la traduction des œuvres grecques anciennes sinua en Orient, au rythme
de tous ces voyageurs zélés, du grec au syriaque puis du syriaque
à l’arabe.
Les
Syriaques traduisirent divers auteurs, comme Platon, Nicolas de Damas,
Galien, Alexandre d’Aphrodise, Porphyre,
Thémistius. Ils se consacrèrent principalement
à l’étude d’Aristote,
ouvrant une nouvelle voie de recherche. Ils ne se bornèrent pas à
transmettre l’héritage
scientifique et culturel grec sans le trahir. Avec volonté, persévérance,
ils l’approfondirent, le commentèrent, l’abrégèrent, l’enrichirent;
ils y mirent leur génie propre. Ils se révélèrent d’excellents copieurs,
traducteurs, exégètes et critiques. Ils illustrèrent cependant l’unité
profonde de la pensée humaine, en se vouant à l’interprétation d’Aristote.
Les
savants syriaques connurent le grec et utilisèrent en syriaque un
vocabulaire philosophique et scientifique
relevant de la logique aristotélicienne. Ils constituèrent,
plus tard, des lexiques syriaco-arabes.
Ils enrichirent la langue arabe, qui servit à transmettre, au monde
musulman, la philosophie et la science grecques.
Freinés
par la doctrine de l’Église chrétienne, ces savants remplis de clarté
n’osèrent pas inventer un système philosophique original du monde.
Il
se trouva parmi eux, cependant, des esprits plus indépendants pour
tenter d’éclairer le rapport entre science et religion Paul
le Perse osa dire que la science était supérieure à la foi.
Ibn Suwar, essaya d’accorder le
dogme et la philosophie.
Les
Syriaques aujourd’hui
Ici
et là, des intellectuels épris de liberté, poursuivent l’étude des
sciences et de la philosophie.Ils retournent
à l’Orient rosé et à sa sagesse ancienne. Ils entretiennent leur mémoire
collective, base de leur identité. J’ai recueilli l’héritage
des philosophes syriaques. J’ai cru à l’importance de la philosophie.
J’y crois toujours. N’est-elle pas un art de penser, de mieux vivre ?
Ne permet-elle pas de
mener une existence plus intelligente, plus éclairée, plus harmonieuse ?
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